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Le football, terrain de jeu des politiques français

Grande Enquête
Alfred Rey 

La politique a toujours entretenu des liens étroits avec le sport, notamment le football. En France, les hommes politiques l’ont bien compris et par passion ou par intérêt ils vont l’utiliser. Lors de ses plus belles heures comme dans ses années noires, l’équipe de France de foot a un impact sur la société. Mais au fil des années, comment le football participe à la construction du récit national français ? 

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Emmanuel Macron embrasse et félicite Kylian Mbappé, tel un fils, pour son titre de "meilleur jeune" de la Coupe du monde | © AFP

« Il faut s’intéresser au football quand on est un dirigeant politique », déclarait Benoit Hamon sur France Culture en 2016. « Il est davantage qu’un sport, c’est un fait social », affirme-t-il deux ans plus tard. Et ça, Emmanuel Macron le sait. Lors de la Coupe du monde 2018, le président de la République s’est montré très proche des joueurs dans les vestiaires, et en multipliant les accolades lors de la remise de la coupe. Amateur sincère de football et « obsédé par la communication », Emmanuel Macron, de part sa gestuelle, a communiqué sur le Mondial, en essayant de « profiter de la vague de confiance dont bénéficiait l’équipe de Didier Deschamps », juge Benoit Hamon. Cela s’est vu lorsque les Bleus, au lendemain de leur victoire contre la Croatie (4-2), se sont rendus à l’Elysée. « A ce moment-là,  l’obsession pour la communication d’Emmanuel Macron avait pris le dessus sur sa passion pour le football », estime l'ancien ministre. L’Elysée a même sorti un tee-shirt à l’effigie du président, avec sa célébration lors de la finale. Une appropriation des Bleus effectuée tout au long de la compétition.

« Depuis 1998, tous les chefs d’états font de la communication politique à travers le football » William Gasparini

Jacques Chirac. Avec +18 points dans les sondages, entre juin et août 1998, c’est le président  français qui a le plus bénéficié de la côte de popularité des Bleus. La victoire de la France lui était en partie attribuée. « Les politiques doivent s’intéresser au foot. Chirac l’a fait alors qu’il n’était pas un grand fan. Mais à travers l’équipe de 1998, on a parlé de la France dans le monde entier. Depuis cette année-là, tous les chefs d’états français font de la communication politique à travers le football », affirme William Gasparini, sociologue et auteur du livre « Le football des nations ».

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A l'Elysée, le 1er septembre 1998, l'équipe de France remet un maillot à son « 23e joueur », Jacques Chirac | © Jean Bibard/FEP

+3 points dans les sondages, entre juin et août 2010. C’est ce qu’a obtenu Nicolas Sarkozy lors de la grève des joueurs à Knysna en Afrique du Sud, lors de la Coupe du monde 2010. Une page noire du football français. Lui et son gouvernement ont tenu un discours proche de celui des supporters, en condamnant l’attitude de certains membres de l’équipe. Quant à François Hollande, grand passionné du ballon rond, il admet que « le football est un élément du consensus national et que la politique y a sa place. Mais elle ne doit pas y récupérer une certaine popularité comme celle de l’équipe de France en ce moment. »

Lors de son mandat de 2012 à 2017, François Hollande « n’avait pas de stratégie particulière autour du foot, si ce n’est celle d’être un supporter et encourager l’équipe, car c’est une passion pour lui », confie Gaspard Gantzer, son ancien chargé de communication. Fidèle à son discours, lors de l’Euro 2016 en France, François Hollande s’est présenté en simple supporter sans mélanger football et politique. Entre juin et août, il n’a gagné qu’un point dans les sondages. A l’étranger, la présidente croate, Kolinda Grabar-Kitarovic, n’a cessé de se montrer pendant le Mondial 2018, et ce fut une vraie réussite.

Source : IFOP

Une communication sur la Coupe du monde critiquée mais justifiée pour l’historien et spécialiste de l’histoire du football, Yvan Gastaut« Oui, il l’a utilisé, mais il n’y a pas eu de mise en scène incroyable. C’est son rôle de le faire. S’il ne le fait pas, il sera aussi critiqué. » A travers sa gestuelle, Emmanuel Macron voulait-il se porter en père de la nation du football français ? Faire augmenter sa côte de popularité ? Ou juste être supporter des Bleus ? Peu importe. Toute cette communication pensée par la présidence de la République sur la Coupe du Monde a été littéralement effacée par l’affaire Benalla fin juillet, et les manifestations des gilets jaunes en décembre. Avant lui, des présidents français s’étaient essayés à cet exercice lors d’une compétition internationale, avec des effets différents. 

Jean-Luc Mélenchon entre sur le terrain

En 2010, Jean-Luc Mélenchon déclarait sur RTL que le foot « c’est l’opium du peuple. Moi je ne suis pas très footeux. » Avant d’ajouter : « Cela m’a toujours choqué de voir des RMIstes (les supporters) applaudir des millionnaires (les joueurs). » Elu dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône depuis juin 2018, il compte bien faire de Marseille son fief électoral, et s’est soudainement découvert une passion pour le football. En se rendant au stade Vélodrome , il tweetait : « Aux armes ! Allez l’OM. » 

Une attitude qui a interpellé des journalistes, s’interrogeant sur une certaine récupération politique de ses actes : « Bien sûr, ma présence fut interprétée à vocation municipale. C’est le maximum de ce qu’une cervelle de commentateur parisien peut imaginer », répondait le président de la France Insoumise, qui n’a pu s’empêcher de « tacler » Paris, en bon supporter marseillais.

Lors de la Coupe du monde 2018, le député et son parti ont communiqué sur les élections européennes, à travers le football : « Joie pure : la Mannschaft est éliminée. Trop forts les Coréens », tweetait Jean-Luc Mélenchon après la défaite de l’Allemagne face à la Corée du Sud (2-0) en phase de poule. Le directeur des campagnes, Manuel Bompard, a suivi : « Le dégagisme frappe aussi la Coupe du monde. L’Allemagne est éliminée dès la phase de poule. En 2019, on dégage la politique allemande dès le premier tour ! » Réponse au mois de mai.

Fierté du territoire 

Que ce soit à l’échelle nationale ou locale, « on ne peut pas se passer de football » affirme Arielle Piazza, adjointe au maire de Bordeaux chargée des sports. « Cela permet une cohésion sociale avec sa mixité sociale. 

On le voit dans les clubs, tout le monde est concerné », continue-t-elle. Avec près de 2,4 millions de licenciés en 2018/2019, le foot est le sport le plus pratiqué en France, mais aussi le plus suivi. Grâce aux couleurs des équipes, aux drapeaux, aux chants; les supporters s’identifient au référentiel commun de leur club, comme Saint-Etienne, Marseille ou Lens. A l’étranger, Liverpool et Dortmund avec leur hymne légendaire « You never walk alone » en sont les symboles. Cela permet aux supporters de s’inscrire dans une fierté de territoire, par le football, qui construit également le récit national. « Les clubs contribuent à l’identité des villes. Marseille est le meilleur exemple en France », affirme François Hollande. Pas étonnant que Jean-Luc Mélenchon s’y intéresse.

Source : fff.fr | Wikipédia | rmcsport.bfmtv.com

Une identité, trouvée par le foot, qui permet à certaines villes d’exister en France. Comme Saint-Etienne, une ville ouvrière, « dominé » par Lyon, une ville plutôt riche située à 62 kilomètres. Grâce à son histoire footballistique, ses supporters réputés, son stade surnommé « le chaudron », et sa propre couleur « Les Verts », le club de Saint-Etienne offre une identité et une fierté à ses supporters et une rivalité à Lyon, qui en fait un des premiers derbys de France.  

Quel héritage de la génération Black Blanc Beur ? 

Après la victoire de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 1998, la génération Black Blanc Beur est apparue. « A l’époque, Black Blanc Beur était un symbole car cette équipe était ainsi composée et une volonté, celle d’arriver à faire une juste représentation de ce que l’on était mais qui n’était pas aussi bien représentée dans la société qu’en équipe de France », estime François Hollande. D’autres, comme l’auteur de l’ouvrage « L’intégration par le sport », William Gasparini, estime que « Black Blanc Beur est un slogan de journaliste qui n’a pas vraiment de réalité. La France s’est construite avec l’immigration, en même temps que le foot se développait. Les deux sont en lien. Le mot « diversité » devenait à la mode. C’était l’intégration à la française, voilà ce qu’a montré l’équipe de France en 1998. 2018 le montre aussi, c’est cela qu’il faut retenir. » 

Vingt ans après, la France est de nouveau championne du monde et Yvan Gastaut écrivait dans Libération, le 17 juillet dernier : « La Fraternité a remplacé la génération Black Blanc Beur. » Cinq mois après, l’historien n’a pas changé d’avis. « Je ne trouve pas de grande différence avec ce que j’ai dit sur le moment. Peut être que l’impact est moins fort, quelques mois après, qu’en 1998, avoue-t-il. Pour qu’il y ait Fraternité, il faut qu’il y ait eu la génération Black Blanc Beur. 2018 ne s’entend pas sans la victoire de 1998. Il y a une vraie continuité sur les questions d’intégration et d’immigration en France. Cela fortifie l’image d’une société qui bouge et qui avance sur ce sujet .» « La France est marquée par sa diversité à tel point que les Etats-Unis disent que c’est une équipe d’Afrique, mais c’est la France. Les Américains saisissent mal qu’entre 1998 et 2018 c’est l’histoire raccourcie de notre pays, qui se raconte à travers l’équipe nationale de foot », pense William Gasparini. 

Une histoire qui ramène à un seul homme. « Didier Deschamps est d’abord celui qui permet cette transition entre les deux victoires. Capitaine puis sélectionneur », constate François Hollande. Symbolisé comme un représentant de la République et un citoyen modèle, Didier Deschamps « n’est pas celui qui représente le mieux la génération Black Blanc Beur, mais en 2018, c’est lui qui a su rassembler les différences pour créer un vivre ensemble », conclue Yvan Gastaut. 

Un vivre ensemble amené par le football mais éclipsé par les manifestations actuelles. Avec la Coupe du monde féminine en France en juin 2019, les Bleues, fortes elles aussi de leur diversité, ont l’occasion de montrer qu’elles peuvent également impacter en bien le moral de la société et un jour, influencer le récit national français. 

Réalisé par Alfred Rey.

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